Lettre Ouverte – 29/12/2018

Lettre ouverte

Lettre ouverte à M. Gaudin, Maire de Marseille,
M.Dartout, Préfet de la Région PACA,
Et Mme Vassal, Présidente du conseil départemental des Bouches-du-Rhône et Présidente de la métropole d’Aix-Marseille-Provence.

Par Pierre K., Sophie D., Alexia A., Alexander H,
Ancien·nes habitant·es du 65 rue d’Aubagne.

Nous nous adressons publiquement à vous, M. Gaudin, M. Dartout et Mme Vassal afin que l’ensemble de nos concitoyen·nes aient accès à notre témoignage, qui diffère de ce que laisse entendre la communication officielle délivrée par les représentants des pouvoirs publics.

Comme vous le savez, le 5 novembre à 9h05, notre immeuble s’effondre sur Simona, Niasse, Ouloume, Fabien, Julien, Marie, Taheb et Chérif, ouvrant une ère de sidération et de deuil dans le cœur des marseillais·es. Suite au choc traumatique d’avoir tout perdu lorsque nos appartements ont englouti nos 8 voisins morts dans des conditions cauchemardesques que nous avons évitées de peu, nous sommes à ce jour prisonnier·es dans des chambres d’hôtel depuis bientôt 2 mois. Permettez-nous de vous le dire ainsi, cette situation nous est insupportable. Alors nous nous demandons jusqu’où et jusqu’à quand va se prolonger cette gestion inhumaine ? Nous nous demandons quelle est donc la conception que vous avez de vos rôles politiques quand vous nous abandonnez à une interminable attente, au même moment où vous songez à offrir une subvention de 1,8 millions d’euros au cercle des nageurs, ou quand vous honorez une soirée de dégustation de chocolat durant l’agonie d’habitant·es de Noailles encore sous les décombres ?

Au 65 rue d’Aubagne, dans l’immeuble qui s’est effondré à 9h05 un lundi matin, seul 4 foyers sur 10 ont survécu. Sur ces 4 foyers, deux vivent encore à l’hôtel, dont l’un sans aucune possibilité de relogement et deux ont été relogés, dont l’un dans un appartement insalubre qui ne lui convient pas. On pourrait croire que le pire est derrière nous et bien non, cette catastrophe a désormais pris la forme de vos administrations inadaptées, des interminables queues au centre Beauvau, de l’absence de considération de la part des pouvoirs publiques, de notre nouvelle situation de SDF, de vos promesses non tenues et enfin du manque absolu de réponse à notre détresse.

M. Gaudin, Mme Vassal, M. Dartout, rendez-vous compte que vous êtes en train de faire endurer de la maltraitance psychologique à des personnes dont l’état de santé mentale est déjà très affaibli par le drame qu’a engendré votre politique urbaine à deux vitesses.

Nous ne pardonnerons jamais les fautes meurtrières commises dans le passé, et si l’enquête judiciaire se chargera de désigner les coupables de la mort de ces 8 citoyen·nes et de la mise en péril de nos vies, vous êtes toutefois, du fait de vos fonctions, responsables des mauvais traitements que nous subissons à l’heure actuelle. En effet, on entend souvent dans la presse et selon la communication des pouvoirs publics, que des moyens financiers ont été mobilisés et que de ce fait nous sommes pris en charge matériellement. C’est totalement faux. En réalité, depuis le début, on ne nous propose que des solutions dérisoires et inadaptées qui relèvent du droit commun et qui ne nous ont absolument pas permis de retrouver des vies dignes. Deux d’entre nous ont par exemple le 5 décembre, suite à la signature d’un bail, fait une demande d’aide au Fond Solidarité Logement, géré par le Conseil Départemental. Cette aide, tout à fait ordinaire, doit permettre de payer les frais de déménagement, d’ameublement etc. Alors que la procédure devait être « accélérée » exceptionnellement, la demande a en réalité dû être réitérée 3 fois et plus de 25 jours plus tard, nous n’avons toujours rien reçu, nous obligeant à rester à l’hôtel faute de pouvoir acheter le minimum de meubles nécessaire pour intégrer notre nouvel appartement.

Concernant l’ « aide aux adultes », le Conseil Régional PACA a lui aussi daigné nous offrir des fonds soi-disant exceptionnels à hauteur de… 200 euros pour un couple et 250 euros pour l’autre. Cette somme ridicule, dont on ne sait pas pourquoi elle diffère selon les cas qui sont pourtant identiques, est une aumône qu’ils semblent nous faire. Les pouvoirs publics disent qu’ils mettent tout en place pour nous aider, or ce n’est pas le cas. La seule aide conséquente que nous devrions recevoir mais que nous attendons toujours et qui nous semble de plus en plus incertaine, sont 5000 euros de bon d’achats que l’on nous a promis pour l’ameublement. Ces bons sont la redistribution des dons privés qui ont été fait à la Croix Rouge. Il ne s’agit donc pas d’une aide des pouvoirs publics mais du seul résultat de la solidarité citoyenne, que nous tenons d’ailleurs à remercier.

En outre, personne ne nous a reçu spontanément. Il a fallu la médiation du « collectif du 5 novembre » pour qu’enfin le 30 novembre, nous 4 soyons reçu·es par le directeur des services de l’urbanisme à la Mairie de Marseille, qui nous a promis une prise en charge que nous attendons toujours. Pire encore, nous nous sommes retrouvé·es confronté·es à des formes de mépris quotidien, telle que l’annulation d’un rendez-vous à la l’hôtel de ville, au cours duquel nous étions censé·es recevoir une aide et ce sans que nous en ayons été averti·es. Imaginez vous vous rendre à un tel rendez-vous après tant d’attente, plein·es d’espoir, trouver porte close et enfin vous laisser entendre dire que vous allez devoir choisir entre les dons versés à la Croix Rouge et des aides financières exceptionnelles, présentés comme incompatibles.

L’accueil à la rue Beauvau quant à lui, a été inadapté depuis le début et l’est encore comme en ont témoigné les délogé·es qui se sont rassemblé·es ces derniers jours devant la porte d’entrée. Les agents qui sont en sous-effectif, inexpérimenté·es, pas formé·es à gérer une telle situation, sans consignes claires, et surtout sans réel moyen de nous apporter ce que nous nécessitons, renvoient toujours les décisions au lendemain, créant ainsi une anxiété terrible pour nous toutes et tous.

M. Gaudin, quand lors du conseil municipal du 20 décembre vous appelez votre équipe municipale à vous aider à répondre au défi que vous lance la mémoire de nos 8 voisin·es, nous vous invitons également, à penser à répondre à ce défi par un minimum de respect et de considération pour le peu de survivant·es que ce drame a épargné. A ce propos, quand nous entendons M. Ruas poursuivre pour dire je cite que « les services du logement ont fait un travail extraordinaire auprès des personnes dont on sait qu’elles ne retrouveront jamais leur appartement », nous en avons la nausée. Nous le répétons, presque 2 mois après ce drame, sur les seul·es survivant·es de l’immeuble, le bilan n’est pas glorifiant : nous sommes tous les quatre encore bloqué·es à l’hôtel, dont deux d’entre nous sans possibilité de relogement. Comment pouvez-vous donc avancer des mensonges aussi éhontés juste après la mention d’un soi-disant défi lancé par la mémoire de ces 8 victimes ? Nous attendons encore un signe de votre considération, un geste de compassion et une prise en charge que nous sommes en droit d’attendre. Après avoir perdu foi en la sécurité et la protection qu’aurait dû nous apporter nos habitations, nous perdons foi en la sécurité et la protection qu’aurait dû nous apporter notre municipalité et l’État.

Il s’impose comme une évidence, qu’aveuglé·es par le profit présagé par votre entreprise de gentrification, vous avez failli à vos responsabilités politiques de protection des habitant·es de la rue d’Aubagne et ce en dépit des nombreuses alertes qui vous ont été lancées par les habitant·es ainsi que par les expert·es de la sécurité civile. Vous n’avez pas voulu investir pour assurer la sécurité de la vie des gens de notre quartier, parce que vous étiez trop occupé·es à orchestrer un nouveau projet de destruction de l’identité marseillaise incarnée par le quartier voisin du nôtre, La Plaine, faisant au passage un joli cadeau de 22 millions d’euros d’argent public à vos collègues du privé.

Aujourd’hui, à quelles activités vous affairez-vous donc au point d’en oublier les 4 foyers survivants ainsi que les 1600 personnes délogées ?

Il est vrai que même si nous ne sommes pas dupes de vos manœuvres visant à refouler les pauvres du centre-ville, nous nous sommes tout de même étonné·es de voir qu’au lendemain de la vague de signalements d’insalubrité et de péril, comme le révèle l’émission « Les Pieds sur terre », les charognards d’Euromed arrivent plus vite pour voler nos bâtiments que les expert·es pour protéger nos vies. Oui, nous pensions que votre cynisme trouverait ses limites dans le deuil, et bien force est de constater que nous avions tort…

Nous demandons aux pouvoirs publics de mettre en place une aide exceptionnelle pour répondre à cette situation exceptionnelle, plutôt que de se cacher derrière le droit commun qui est clairement insuffisant et inadapté, laissant presque deux mois après l’effondrement, deux d’entre nous sans même une solution de relogement. Nous ne demandons rien d’extravagant, mise à part de pouvoir retrouver nos vies grâce à un logement dans le centre-ville et une aide suffisante pour pouvoir intégrer notre nouveau lieu de vie dans de bonnes conditions, avec un peu de considération et de dignité.

Pragmatiquement, une meilleure organisation de la gestion de cette crise permettrait pour nous de retrouver des vies normales et d’éviter par ailleurs de continuer à dépenser de l’argent public en nuitées d’hôtel.

Nous demandons à ce que nos situations, des ancien·nes habitant·es du 65 ainsi que celles de nos voisin·es du 69, soient gérées collectivement et non au cas par cas de façon différenciée et inégale. Nous demandons enfin que les pouvoirs publics prennent leurs responsabilités au lieu de sans cesse se reposer sur la solidarité citoyenne.

Dans l’attente d’une résolution rapide des problèmes que nous avons ici exposés, pour nous, nos voisins du 69 et tou·tes les délogé·es de Marseille,

Cordialement,

Pierre K., Sophie D., Alexia A., Alexander H.,
Ancien·nes habitant·es du 65 rue d’Aubagne.

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