Tribune « Nous sommes tous des enfants de Noailles » – Le Monde 31.01.2019

PREMIERS SIGNATAIRES:

Keny Arkana, rappeuse ; Dominique Cabrera, réalisatrice ; Sophie Calle, artiste ; Barbara Cassin, philosophe ; André Donzel, sociologue ; Robert Guédiguian, réalisateur ; IAM, rappeurs ; Valérie Manteau, écrivaine, prix Renaudot 2018 ; Michel Péraldi, anthropologue ; Philippe Pujol, journaliste ; Soprano, rappeur

Samedi 2 février, les collectifs de quartiers, associations, syndicats marseillais s’uniront pour réclamer des mesures d’urgence pour le logement et le droit à la ville. Une centaine de personnalités du monde artistique, intellectuel, sportif, associatif se joignent à cette démarche.

          Le 5 novembre 2018, rue d’Aubagne à Noailles, en plein cœur de Marseille, deux immeubles se sont effondrés, ensevelissant Chérif, Fabien, Julien, Marie, Niassé, Ouloume, Simona et Taher sous les décombres d’une catastrophe annoncée. Huit familles endeuillées, des survivants traumatisés et qui ont tout perdu, toute une ville sous le choc.

Un troisième immeuble mitoyen fut aussitôt détruit, qui tenait à peine debout ; un quatrième à moitié « déconstruit », avant que les autorités changent d’avis et le laissent ainsi, éventré, ses occupants à la rue. Pendant des semaines, couronnant la scène du drame, on a pu voir, encore accrochés au mur du 5e étage comme en lévitation, les placards de cuisine en parfait état de la famille qui habitait là-haut.

S’ensuit, non-stop depuis bientôt trois mois dans un mouvement de panique à tous les étages, l’évacuation de milliers d’habitants menacés de péril, sans les documents légaux qui prennent plusieurs semaines à être produits mais qui sont pourtant indispensables dans la jungle administrative pour être relogés, indemnisés, (r)assurés ou tout simplement pris en compte.
Certains sont depuis lors à l’hôtel et payent encore leur loyer sans savoir ni quand ni où ils pourront être relogés, ni à quel prix, sans pouvoir se faire à manger, ni faire leur lessive, baladés d’un interlocuteur à l’autre dans la plus grande confusion et engageant des dépenses insoutenables pour eux, ménages souvent précaires, parfois sans-papiers, ne parlant pas toujours français, en état de choc psychologique, doublement, triplement vulnérables.
Qui s’est préoccupé que ces familles ne passent pas Noël isolés dans leur chambre d’hôtel sans cuisine, que les enfants délogés puissent manger autre chose que les repas de cantine qui leur sont proposés midi et soir, qu’ils aient des titres de transport pour faire le trajet de l’hôtel à l’école, que tous, surtout les plus fragiles, ne soient pas laissés à l’abandon dans des situation de détresse totale? Qui à part leurs voisins, les Marseillais?
L’incroyable solidarité déployée par les habitants de Marseille a pallié tant bien que mal les défaillances humaines et sociales des acteurs publics. Cela devrait imposer le respect du personnel politique, au lieu du mépris affiché envers les « activistes » qui, n’en déplaise à la présidente de la Métropole, sont bel et bien en passe de changer cette ville, pour le mieux.

Pendant ce temps, la Mairie libère des logements au compte-goutte, sur les quotas des logements sociaux qui avaient déjà de trop longues files d’attente, logements vides pour lesquels les familles doivent racheter tous leurs meubles et organiser leur déménagement, parfois fort éloignés de leur quartier d’origine, où sont leurs habitudes de vie, leur travail, les écoles de leurs enfants. Cela se passe aujourd’hui, alors même que 33 000 logements sont vacants à Marseille et pourraient être réquisitionnés et ré-occupés pour mettre à l’abri ces foyers.
Certains des immeubles évacués sont finalement déclarés réintégrables par leurs anciens habitants. Qu’importe qu’on renvoie ces gens traumatisés habiter en face des ruines de leurs voisins, entre quatre murs fissurés, le sol affaissé, le plafond infiltré ; quand les immeubles n’ont pas été cambriolés pendant le temps de leur évacuation, ils sont gelés, envahis par les rats et les cafards qui se sont régalés des denrées abandonnées en hâte, empuantis par l’odeur des frigos et congélateurs où tout a moisi et des lessives croupies dans les machines fermées ; l’humidité règne partout après des semaines de vacance ; mais les autorités communiquent fièrement sur l’avancée de leurs statistiques de relogement.

La gestion lamentable de cette crise sans précédent a littéralement mis dans la rue tout Marseille à plusieurs reprises dans des manifestations historiques à l’appel du Collectif du 5 novembre rejoint par le monde associatif, les syndicats, les autres collectifs de quartiers et des simples citoyens. La répression policière qui a fait une victime supplémentaire, Zineb, atteinte chez elle par un tir de grenade lacrymogène, n’aura fait qu’aggraver davantage le scandale et la colère légitime de la population.

Il est temps de prendre la pleine mesure de cette catastrophe honteuse dans la 2e ville de France, aujourd’hui capitale de l’indignité : Marseille a besoin d’un plan extraordinaire de lutte contre le mal-logement, pour rénover les écoles, pour l’accès aux services publics, contre la ségrégation urbaine, qui mobilise tous les niveaux de l’État pour mettre cette ville dans un état enfin
digne, plus que ne l’est le personnel politique actuel.
Il est temps que la politique de la ville soit faite par et pour ses habitants. Le 2 février, alors que les Marseillais sortiront une fois encore dans la rue réclamer justice et dignité, à l’appel des collectifs de quartier qui s’unissent autour de l’Assemblée des délogé.e.s, nous qui sommes mobilisé.e.s sur le mal-logement et qui avons Marseille à cœur, nous appelons solennellement les citoyen·ne.s à rejoindre cette marche et tous les pouvoirs publics à cesser le mépris et l’incompétence, pour que jamais nous n’ayons à porter le deuil d’autres rues d’Aubagne.

Vous pouvez également retrouver le manifeste pour une Marseille Vivante Accueillante et Populaire en cliquant ici

NOS SIGNATAIRES :

Aurélie Agullo, musicienne, batteuse, compositrice
Julie Aguttes, réalisatrice
Anne Alix, réalisatrice
Bruno Allary, musicien
Alonzo, rappeur (Psy 4 de la rime)
Georges Appaix, chorégraphe
Keny Arkana, rappeuse
Rabha Attaf, grand reporter et présidente de Confluences
Bernard Aubert, directeur artistique de la Fiesta des Suds
Thomas Azuelos, dessinateur

Gilles Barbier, artiste
Christine Bartolomei, magistrat à la retraite, ex juge des enfants à Marseille
Julien Bayou, cofondateur du collectif Jeudi noir
Francois Beaune, écrivain
Isabelle Benkemoun, distributrice cinéma & scénariste
Karima Berriche, sociologue, SQPM
Aldo Bianchi, président de Marseille et moi
Fathi Bouaroua, Emmaüs
Patrick Bouchain, architecte
Aziz Boumediene, artiste performeur
Anais Bourdet, graphiste – créatrice de Paye Ta Shnek
Rachida Brahim, sociologue

Dominique Cabrera, réalisatrice
Nathalie Cabrera , directrice de la Maison Jean Vilar
Julia Cagé, économiste
Sophie Calle, artiste
Jean-Marie Cantona, producteur
Joel Cantona, acteur, ancien joueur de l’OM, producteur
Barbara Cassin, philosophe
Claire Castan, Chargée des auteurs à l’Agence régionale du Livre
Philippe Caubère, comédien, auteur et metteur-en-scène
Jean François Cerutti, un Centre Ville Pour Tous
Chinese Man Records
Salvatore Condro, sociologue
Jonathan Coe, écrivain
Jean Contrucci, journaliste et écrivain

Les Dames de la Joliette, musiciennes
Didier da Silva, écrivain
Elodie Debureau, bibliothécaire (Saint-André)
Maylis De Kerangal, écrivaine
Alessi Dell Umbria, auteur, réalisateur, membre de l’Assemblée de la Plaine
Jean De Peña, photographe
Jean Paul Delore, auteur, acteur, metteur en scène
Gilles Del Pappas, écrivain
Antoine et Édouard Delpero, surfeurs
André Dimanche, éditeur
Dj Djel (Fonky Family)
André Donzel, sociologue
Elisabeth Dorier, géographe
Eva Doumbia, metteuse en scène
Gérard DURAND ancien vice-président d’Emmaüs France et ancien responsable de la communauté d’Emmaüs Pointe Rouge

Lionel Elian, musicien
Xavier Emmanuelli, cofondateur MSF et Samusocial, ex-président du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées
Bernard Eynaud (LDH Marseille)
Jean-Baptiste Eyraud (DAL)

Philippe Foulquié, fondateur de la Friche la Belle de Mai
Molly Fournel, libraire

Claudine Galea, écrivaine
Liliane Giraudon, écrivain
Roland Gori, psychanalyste, professeur honoraire des Universités (Aix Marseille)
Robert Guédiguian, réalisateur
Frédérique Guétat-Liviani, auteure

Vincent Hein, psychanalyste et écrivain
Eric Henninot, auteur de bandes dessinées
Mathieu Hocine (Kid Francescoli), musicien

IAM, groupe de rap

Orso Jesenska, musicien
André Jollivet, architecte
Pascal Jourdana, directeur de la Marelle

Sam Karpiena, chanteur occitan, compositeur
Jean Kehayan, journaliste et essayiste
Nina Kehayan, auteure, traductrice
Julie Kretzschmar, metteur en scène

Nicolas Lafitte, auteur et chroniqueur
Yohanne Lamoulère, photographe
Bruno Le Dantec, auteur, journaliste, membre de l’Assemblée de la Plaine
Raphaël Liogier, philosophe, sociologue
Nicole Lorant, magistrat administratif honoraire

Nicolas Maisetti, politiste
Valérie Manteau, écrivaine
Massilia Sound System, raggamuffin marseillais
Gesa Matthies, réalisatrice
Cesare Mattina, sociologue
Bania Medjbar, réalisatrice
Horiya Mekrelouf (MRAP 13)
Bernard Menu, musicien
Marc Mercier, réalisateur, critique et directeur artistique
Gérard Meylan, acteur
Muriel Modr, artiste plasticienne, SQPM
Moussu T e lei jovents, groupe de blues ciotaden
Laurent Mucchielli, sociologue

Fred Nevché, chanteur 
Thierry Thieû Niang
, chorégraphe

Papet J, raggamuffin marseillais
Sylvain Pattieu, écrivain et historien
Sylvie Paz, chanteuse
Gil Aniorte Paz, musicien (Radio Babel)
Florence Pazzottu, écrivain et cinéaste
Charlotte Penchenier, réalisatrice
Jean-René Pendaries, retraité CNRS
Michel Péraldi, anthropologue
Gilles Perez, producteur
Emmanuel Perrodin, chef
Valérie Pouleau, administratrice
Philippe Pujol, journaliste

Emmanuel Roy, réalisateur

Michel Samson, journaliste, essayiste
Natacha samuel, cinéaste
Régis Sauder, cinéaste
Dorothée Sebbagh, cinéaste
Minna Sif, romancière
Marie Stambul (Medecin du Monde)
Lili Sohn, autrice de bandes dessinées
DJ Soon
Soprano, rappeur
Joy Sorman, écrivaine

Manu Theron, chanteur occitan de Marseille
Nacéra Tolba, poète
Tomagnetik, graffeur
Michel Touzet, libraire

Kevin Vacher, sociologue
Frédéric Valabrègue, écrivain
Julien Valnet, auteur
Catherine Vincent, duo de musiciens
Jean Jacques Viton, poète

Fabienne Yvert, écrivaine, artiste